Mais quelle heure est-il? - Reflexion sur le voyage à vitesse humaine

Transsibérien #340, aux alentours de Mangut km 2523, 4 Nov 09, 9h45
heure de Moscou.

C'est la première fois que je fais un voyage Est-Ouest de cette
envergure à une vitesse moyenne de 60 km/h. Lorsqu'on y réfléchit, notre
trajet est équivalent à un Montréal - Paris, soit autour de 5000 km
Est-Ouest. Ici notre décalage horaire sera à l'arrivée de 5h alors que
pour la transatlantique, c'est en général 6h.
La grosse différence, c'est qu'à notre vitesse actuelle, les heures de
décalage se vivent et se ressentent au jour le jour:
Le soleil se lève et se couche plus tôt chaque jour, on ne sait plus
vraiment à quelle heure déjeuner, dîner, ou souper. Mais est-il vraiment
nécessaire de chercher à se rattacher à cette référence que représente
pour nous l'heure?
Les horaires des arrêts sont indiqués à l'heure de Moscou mais les
villes traversées fonctionnent en ce moment deux heures plus tard...
Pour ma part, je préférerai vivre ce décalage selon mon horloge
biologique (faim, soif, douche, dormir, etc.) mais notre coloc de cabine
semble avoir une vision complètement différente : lui s'astreint -et
fait de même pour la petite- à vivre au rythme du soleil et à manger à
peu près toutes les 2 heures. Ça peut donner des choses aussi étranges
que l'anecdote suivante:

        J2 15h heure de Moscou, le vieux nous force à nous mettre à table en
nous ayant préparé une purée déshydratée, on se force doucement en
entamant notre saucisson avec une bière et finissons par attaquer la
purée une demi-heure plus tard, "La nuit va tomber" semble-t-il nous
mimer. Comme de fait, en ce début de mois de novembre la nuit tombe tôt.
Une demi-heure plus tard (autour de 17h, il faisait nuit noire) le voilà
qu'il prépare la cabine pour se coucher avec la petite et s'étonne de ne
pas nous voir en faire autant. Nous sortons et entamons notre soirée
dans le corridor à boire entre thé et bières et à lire, bricoler sur
l'ordi, etc.
Vers 19h, Anne s'essaie à se coucher et se fait réveiller par la petite
qui hurle. Notre homme sort de la cabine lumières toutes allumées pour
aller se préparer un bol de pâtes ; il est 22h. La petite est loin
d'être prête à se recoucher et gesticule en criant dans tous les sens.
Ils finissent par se re-coucher 2h plus tard.
Pour notre part nous ne nous mettrons pas au lit avant 1h du mat', pas
fatigués du tout et même après cela 1 bonne heure de lecture nous
attend. Cette fois-ci nous ne nous ferons pas avoir: bouchons
d'oreilles, masque sur les yeux et c'est parti pour 7 heures de sommeil
(tout de même). Au réveil (8h heure de Moscou) toute la cabine est levée
et joue et crie, le soleil frappe fort la porte est ouverte...

Tout cela pour dire que nous vivons tous de manière différente ce
décalage dans le temps et l'espace, traverser les méridiens les uns
après les autres dans cette bulle intemporelle qu'est le train est une
expérience qui permet de se rendre compte de l'immensité du pays ; de
mieux se représenter ces kilomètres que l'on avale habituellement en
quelques heures d'avion.

C'est amusant, à chaque fois que j'ai voyagé dans un pays moins
développé j'ai eu une surprise sur les différences que l'on a dans
l'appréhension de cette notion qu'est le temps.
J'ai hâte de voir ce que
nous réservent à ce sujet le fin fond de la Sibérie, la Mongolie, la
Chine et les autres pays que nous visiterons!

Une réflexion de Jérôme:
Que cela veut-il dire pour nous _occidentaux vivant en Amérique du nord_ de prendre le temps de s'offrir un voyage dans lequel il faut compter 4 jours de déplacement alors que dans le pays ou nous vivons on ne nous octroie que 2 ou au mieux 3 semaines de vacances par an?
Serais-ce perçu comme un luxe par nos pairs? alors qu'ici les personnes qui se le paient le font parce que l'avion reviendrait trop cher...

Réponse d'Anne:
Quand on n'a pas d'argent on a du temps et quand on a pas le temps on a de l'argent. Contrairement a l'adage des financiers de ce monde qui dit complètement l'opposé (n'est-ce pas Steven? ;o) )...